«Face à la précarité, il existe des réponses plus adaptées que la 13e rente AVS»

27 gennaio 2024 | Le Temps | in francese
Intervista: Annick Chevillot e Philippe Boeglin

La ministre socialiste des Assurances sociales aligne les arguments contre les initiatives sur l'AVS. Elle revient sur son changement de département, survenu après seulement une année.

Quelques semaines après son changement «surprise» de département, la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider se retrouve déjà dans le vif du sujet. La socialiste doit défendre la position du Conseil fédéral et du parlement contre la 13e rente AVS et contre le relèvement de l'âge de la retraite; deux initiatives soumises au peuple le 3 mars. Le Temps l'a rencontrée dans son nouveau bureau au Département fédéral de l'intérieur (DFI). La Jurassienne a simplement traversé la rue en passant du DFJP
(Département fédéral de justice et police) au DFI. Exit la migration, bonjour la santé et les affaires sociales. Elle savait qu'elle serait rapidement sous le feu des projecteurs en succédant à Alain Berset, avec les votations du printemps. Elle se savait «observée» lundi lors de sa première conférence de presse en tant que cheffe du DFI, mais s'est «sentie à l'aise» dans cet exercice.

De nombreux retraités bénéficient de rentes modestes. Humainement, et en tant que socialiste, n'est-ce pas difficile de leur dire: «La 13e rente, c'est niet»?
Ce n'est pas du tout ce que dit le Conseil fédéral. Nous ne contestons àaucun moment qu'un certain nombre de personnes âgées vivent dans la précarité. Mais nous considérons qu'il existe d'autres réponses, plus adaptées, face à cette situation. Cela devrait passer par des mesures mieux ciblées, comme les prestations complémentaires. Deux motions sont également en discussion aux Chambres fédérales, afin d'améliorer le niveau des rentes les plus modestes. C'est cela qui est déterminant. Si je suis en difficulté financière, ma première préoccupation va à ce que je touche à la fin du mois. Or, la responsabilité du Conseil fédéral est d'anticiper! L'AVS est le pilier central de notre système de prévoyance, le plus social et le plus solidaire. Il doit être financé durablement. Mettre le financement de l'AVS en danger, comme le ferait la 13e rente, c'est fragiliser les personnes qui n'ont pas ou peu de 2e pilier, ni de fortune. Et donc qui comptent uniquement sur leur rente AVS pour vivre.

La 13e rente vise précisément à les soulager. En quoi menacerait-elle leur rente?
La rente représente certes un soutien pour les personnes en difficulté, mais son financement doit s'inscrire dans la durée. Si le peuple accepte cette initiative, les finances de l'AVS seront péjorées dès 2026. Il faudra alors prendre des décisionsdélicates. Je peux imaginer que toutes les hypothèses devront être discutées: hausse du taux de TVA, augmentation des cotisations salariales, diminution des rentes, etc. Car on ne parle pas de millions mais de milliards à compenser. Et encore une fois: ce ne sont pas les personnes qui disposent d'un bon 2e pilier, ou même d'un 3e pilier, qui seront les plus impactées.

En quoi les prestations complémentaires peuvent les soulager? Les démarches découragent de nombreux ayants droit...
C'est effectivement une réalité: certaines personnes renoncent aux prestations auxquelles elles ont droit. Un véritable effort d'information doit être fait pour expliquer que les prestations complémentaires sont précisément un droit! Je connais bien la situation, car mon père - aujourd'hui décédé - est passé par là. Cela n'a pas été simple pour lui de demander un complément pour sa rente AVS. Mais quand il a compris que cette prestation n'était pas synonyme d'échec, il s'est lancé. Ces filets sociaux doivent être accessibles et simples. Il n'est pas juste que des prestations importantes auxquelles on a droit ne soient pas perçues. Cette aide ciblée est là pour répondre aux besoins vitaux.

Comment expliquer à la population que le Conseil fédéral refuse ce coup de pouce aux retraités, alors que l'armée et l'agriculture reçoivent une manne supplémentaire et substantielle? L'argument financier n'est-il pas un peu faux?
Chacun est libre d'apprécier la qualité de cet argument. Qu'on le veuille ou non, octroyer une 13e rente reste difficile à financer. Dès 2026, l'AVS sera dans les chiffres rouges. Puis, elle sera très vite confrontée à des milliards de déficit. Et je ne dis pas cela pour faire peur. Il faut comprendre que pour le fonds AVS, une semaine de rentes correspond à 1 milliard de versements. Ce n'est pas anecdotique. Dès 2026, avec une 13e rente, l'AVS enregistrerait un déficit de 643 millions de francs. En 2030, ce serait 3,7 milliards et en 2035, plus de 8 milliards de déficit. Je me méfie des projections à plus long terme, car des paramètres importants comme l'état de la conjoncture économique peuvent changer. Mais ces chiffres sont factuels.

Si la 13e rente l'emporte dans les urnes, cela pourrait faire pencher la législature vers le centre et vous avantager pour vos dossiers à venir en matière d'assurances sociales, de prévoyance vieillesse et de santé...
Je ne fais pas de politique-fiction, d'autant plus que je ne partage pas votre hypothèse. Nous ferons le point au soir de la votation populaire, le 3 mars prochain. L'autre initiative qui vise à relever l'âge de la retraite à 66 ans, puis à la faire évoluer à l'espérance de vie, permet, elle, d'éviter les problèmes financiers de l'AVS.

Pourtant, vous êtes contre parce qu'elle représente un dangerstructurel. De quel danger parlez-vous?
Financièrement, cette initiative peut sembler attrayante, car elle implique une hausse de revenus pour l'AVS. Or, sur le fond, elle pose de grands problèmes. A commencer par l'âge de la retraite, qui est une question très sensible. On l'a bien vu lors de la votation sur AVS 21, avec la hausse de la retraite des femmes à 65 ans. Cette mesure entrera en vigueur en 2025, prenons les choses les unes après les autres. Je ne pense pas que le peuple suisse soit prêt à augmenter une nouvelle fois l'âge de la retraite. Et puis, au niveau structurel, le problème de ce texte tient à l'automatisme du mécanisme proposé. Pour définir l'âge de la retraite, il n'y a pas que la question de l'espérance de vie qui doive être prise en compte, ce serait trop réducteur. Il faut également prendre en considération l'évolution du marché du travail, sans négliger qu'AVS 21 permet désormais une plus grande flexibilisation.

Si on n'augmente pas l'âge de la retraite, comment financer le déficit prévu d'ici à la fin de la décennie, avec ou sans 13e rente?
Le Conseil fédéral a été chargé par le parlement de répondre à cette question dans les deux prochaines années. C'est sa responsabilité de proposer des solutions. Ces questions sont encore ouvertes, mais des pistes existent: faut-il une corrélation avec les prestations complémentaires, faut-il augmenter la TVA ou les cotisations sociales ou encore agir sur le budget de la Confédération? Des arbitrages seront nécessaires: stabiliser le financement de l'AVS ne se fera pas sans compromis. Si une solution toute faite existait, nous l'aurions déjà trouvée. C'est un débat qui prendra du temps.

Quand allez-vous vous pencher sur l'immense dossier de la santé? Et quelles sont vos priorités?
Avant de m'exprimer sur ce dossier essentiel, je veux déjà écouter les différents partenaires. Nous en sommes tous conscients: la question de la maîtrise des coûts est fondamentale, tout comme la numérisation ou encore la question des tarifs médicaux.

Dans les grandes lignes en matière de santé, visez-vous une réduction des coûts, ou un financement des coûts par l'Etat, comme le veut votre parti?
Encore une fois, je me prononcerai lorsque j'aurai entendu les différents acteurs de la santé, à l'image des représentants des cantons avec qui j'ai eu un premier échange cet aprèsmidi [vendredi 26 janvier, ndlr].

Vous avez sans doute une position sur ce dossier...
Naturellement! Mais chaque chose en son temps.

Comment s'est passé votre accueil au Département fédéral de l'intérieur?
De manière très positive. L'accueil par mes collaborateurs a été très agréable. J'éprouve aussi beaucoup de plaisir à être en lien direct avec les grands thèmes qui ont accompagné mon parcours professionnel et politique.

Vous avez été critiquée pour ce changement de département rapide, voire précipité. Avez-vous fui l'asile et la migration?
Ce départ n'était ni rapide ni précipité. Il répondait à une opportunité qui s'est présentée et que j'ai saisie. Les questions d'asile concernent des personnes et leur vécu, en lien avec des questions de société. Elles m'ont passionnée.

Vous n'êtes restée qu'une année dans votre précédent département...
Cela aurait tout aussi bien pu se produire plus tard. Certaines occasions ne se présentent pas deux fois, il faut savoir les saisir.

Avez-vous consulté d'autres personnalités avant de faire ce choix?
Non, car c'est une décision très personnelle. Et puis entre l'élection du nouveau conseiller fédéral et la séance de répartition des départements, le temps est très court. Trop court pour consulter largement.

Vous reprenez le même département que Ruth Dreifuss occupait il y a des années. Est-elle une figure importante pour vous?
Bien sûr, c'est une figure marquante, une personnalité qui incarne une posture, qui a osé prendre des risques, qui s'est exposée. Ruth Dreifuss est à l'origine de grandes réalisations, notamment la politique des quatre piliers en matière de drogue et l'assurance maladie obligatoire.

Avez-vous encore des contacts avec elle?
Oui, comme j'en ai avec d'autres figures socialistes. J'ai par exemple rencontré récemment Christiane Brunner. J'aime bien ce lien de sororité, tout en soulignant que je n'ai rien contre les hommes socialistes (rires).

On entend que votre nouveau collègue socialiste au Conseil fédéral, Beat Jans, aurait peu apprécié que vous repreniez le Département fédéral de l'intérieur, que lui-même visait... Est-ce que votre collaboration démarre sur de mauvaises bases?
Pas du tout. Nous sommes les deux élus, du même parti, et nous avons envie d'incarner les mêmes valeurs dans un collège gouvernemental.

Beat Jans avait-il eu des signaux lui permettant de penser qu'il allait reprendre le DFI? L'avez-vous pris au dépourvu?
Le but n'est pas de prendre mon collègue au dépourvu. Peut-être s'est-il projeté... Mais ça, il faudrait le lui demander directement.

Certains vous reprochent un côté désordonné et trop léger, symbolisé par l'échec sur les conteneurs pour requérants d'asile. Que répondez-vous? Et qu'est-ce que cela vous fait?
Je ne sens pas le besoin de me justifier. Une des grandes difficultés de ce dossier a été de ne pas pouvoir le défendre personnellement au parlement. Il a été, rappelez-vous, porté par le Département des finances. Ma collègue Karin Keller-Sutter l'a très bien défendu, mais pour moi il était compliqué de ne pas pouvoir argumenter en personne devant les Chambres. J'ai aussi beaucoup appris: cela m'a permis de créer une relation de confiance avec les cantons et les villes. Au final, les cantons ont positivement répondu à mon appel: grâce aux places supplémentaires mises à disposition, nous avons été en mesure d'éviter une attribution anticipée des requérants aux cantons. C'était notre objectif prioritaire et nous l'avons réalisé.

Les ministres latins ne rencontrent-ils pas un préjugé d'incompétence de la part de la majorité alémanique?
Je n'exclus pas cette hypothèse, pas plus qu'un biais de genre. Et puis il y a aussi un troisième élément: nous étions l'an dernier en année électorale. Cela a durci les positions sur la migration et tendu le climat politique.

Avez-vous depuis lors revu votre méthode?
Il est naturel d'évoluer! Quand on entre en fonction, il faut prendre connaissance des dossiers, de l'environnement politique, constituer son équipe. Plus le temps passe, plus on maîtrise les différentes données relatives à la fonction. D'ailleurs - et je m'en suis rendu compte en regardant par exemple le reportage de l'émission de la RTS Mise au point - j'ai vu un changement d'attitude au fil des mois. Je crois pouvoir dire que j'incarne mon mandat au Conseil fédéral de manière toujours plus affirmée (sourire).

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