3 février 2024 | La Liberté
Interview: Guillaume Chillier
Le Conseil fédéral est opposé à la 13e rente AVS soumise à la votation le 3 mars prochain. Fraîchement arrivée au Département fédéral de l'intérieur, la socialiste Elisabeth Baume-Schneider plaide contre son camp.
une 13e rente AVS pour l'ensemble des retraités et le relèvement de l'âge de la retraite à 66 ans: pour le Conseil fédéral, représenté par la nouvelle ministre de l'Intérieur, la Jurassienne Elisabeth Baume-Schneider, ces propositions ne sont pas les bonnes. Il faut attendre avant de mettre en oeuvre des améliorations selon elle plus sensées, quand bien même une partie de la population souffre en raison de la hausse du coût de la vie.
Imaginons que vous êtes encore assistante sociale. Une retraitée se présente dans votre bureau et vous explique que malgré sa rente AVS et les prestations complémentaires, elle n'arrive pas à joindre les deux bouts. Que lui répondez-vous?
Il faut tout d'abord prendre le temps d'écouter la personne, pour comprendre sa situation, d'où viennent ses difficultés et quels sont ses besoins. Il faut ensuite déterminer si les difficultés qu'elle traverse sont temporaires ou permanentes. L'important est surtout de l'accueillir avec beaucoup de respect, sans lui donner l'impression qu'elle est en situation d'échec parce qu'elle sollicite un soutien. Je ne nie pas qu'en Suisse, des personnes n'arrivent pas à joindre les deux bouts malgré l'aide de l'Etat. Certaines situations sont difficiles. Mais en règle générale, chacune et chacun doit pouvoir s'en sortir avec sa rente AVS et les prestations complémentaires auxquelles il et elle a droit.
L'un de vos arguments, c'est de dire que si l'AVS est fragilisée par de nouvelles dépenses comme une 13e rente, ce sont les retraités les plus modestes qui en pâtiraient le plus. Pas simple à comprendre...
Il ne faut pas culpabiliser les personnes en difficulté en leur disant qu'en acceptant cette initiative, elles mettraient l'AVS dans le rouge. Mais le Conseil fédéral doit être transparent: d'une manière ou d'une autre, cette 13e rente devra être financée. Avec une 13e rente, l'AVS devra être stabilisée bien plus rapidement que prévu. Faudra-t-il rehausser la TVA ou les cotisations sociales? On verra. Mais il est clair que ces augmentations toucheront les personnes avec un budget modeste, bien davantage en tous les cas que celles qui ont un peu de fortune, ou un bon 2e pilier, voire un 3e pilier.
Donc gagner une 13e rente, c'est être perdant.
Je ne sais pas s'il faut parler de gagnant ou de perdant. Mais il est clair qu'en fragilisant notre assurance sociale la plus importante, on fragilise sa dimension solidaire. Et cela, nous devons l'éviter.
Le Conseil fédéral prépare une réforme de l'AVS qu'il présentera au Parlement en 2026. Pourquoi dire non à une 13e rente rapidement et attendre un hypothétique projet dans deux ans?
Les Chambres fédérales sont aussi capables de travailler rapidement. Vu l'importance de ce dossier, on peut imaginer qu'une fois la proposition du Conseil fédéral déposée au Parlement, les choses s'accélèrent. Et puis, des motions demandant d'intervenir de manière ciblée pour aider les retraités les plus modestes sont en cours de traitement. L'alternative à la 13e rente, ce n'est pas le statu quo.
Ne craignez-vous pas que la proposition du Conseil fédéral soit dénaturée par un Parlement à majorité bourgeoise, avec à la fin un projet moins bon qu'une 13e rente?
La force de cette initiative est d'avoir mis sur la place publique la question de la précarité des seniors, qui est un vrai problème de société. Nous devons pouvoir parler de précarité, de pauvreté, sans culpabiliser les parcours de vie difficiles. Personne ne conteste aujourd'hui que nos aînés ont droit à une vie digne et qu'il est nécessaire de répondre aux situations de précarité. D'autant que cette question va s'imposer de manière toujours plus forte avec l'évolution démographique et l'arrivée à la retraite des babys boomers. Les Chambres fédérales ont à faire face à cette réalité. Nous avons la responsabilité d'apporter des réponses durables, stable et solidaires.
Les motions que vous avez évoquées demandent des aides plus ciblées. C'est une piste?
Il y a plusieurs réponses possibles. On peut se concentrer sur une adaptation des rentes pour les plus bas revenus, comme le demande la motion Mettler, mais on peut aussi agir directement sur les prestations complémentaires. C'est la manière d'agir la plus efficace, car elle permet de se concentrer sur les besoins de base. Avec des mesures ciblées, on peut par exemple faciliter le maintien à domicile. Cela nécessite une large réflexion, car les besoins changent avec l'évolution de la société. Ces motions sont utiles, car elles permettent de chercher des solutions, si possible dans un délai très raisonnable.
Comment expliquez-vous alors que le Conseil fédéral rejette une de ces motions, répétant qu'il faut attendre la réforme de 2026?
Le Conseil national a approuvé la motion Mettler à la quasi-unanimité, avec quelques abstentions. Je sens une prise de conscience, tous partis confondus. Le Conseil fédéral jouera son rôle, en dialogue avec le Parlement et la population. Personne ne conteste la nécessité d'agir.
Que dire à ceux qui estiment que la Suisse est capable de dégager des millions pour l'armée, mais rien pour ses retraités?
Je comprends que certains s'interrogent sur ces priorités. Mais notre responsabilité au Conseil fédéral est d'anticiper et de dire qu'il y aura un prix à payer. Si l'initiative est acceptée, la situation financière de l'AVS va se péjorer dès 2026. Des solutions devront être trouvées.
Les sondages montrent des seniors largement favorables à une 13e rente et des jeunes plus réticents. Ce pacte intergénérationnel n'est-il pas en danger?
Non. Je refuse d'entrer dans un débat clivant. Cette initiative a un coût, qu'il faudra bien assumer, que ce soit via la TVA, les cotisations sociales ou d'autres mesures. Mais il ne faut culpabiliser personne. Les jeunes n'estiment pas que les «vieux coûtent trop cher»! Je ne crois pas au clash générationnel.
Le résultat idéal pour vous, c'est un «oui» du peuple mais un «non» des cantons, ce qui vous donnera une forte assise pour proposer des solutions autres que la 13e rente?
Le résultat idéal, c'est que l'AVS sorte gagnante de cette votation. Et aux yeux du Conseil fédéral, une AVS gagnante est une AVS financée durablement, avec des prestations complémentaires ciblées et les plus qualitatives possibles. C'est un point clé pour lequel je m'engagerai. Concrètement, cela pourrait passer par un travail en commun avec les cantons et les communes, pour que personne n'ait honte de demander des prestations complémentaires. C'est un droit, il fait partie intégrante de notre filet social. Il n'y a aucune raison pour que ces prestations soient socialement moins bien acceptées que les subsides pour l'assurance maladie ou les bourses d'études. Un jeune ne culpabilise pas parce qu'il est aidé financièrement pour sa formation. Il doit en être de même pour une personne âgée een difficulté.
Dernière modification 05.02.2024
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