Notre rubrique « Éclairage » vous propose deux entretiens : le premier avec Dr. Lea Stahel, sociologue et spécialiste des questions relatives au racisme sur Internet, et le second avec Amina Benkais-Benbrahim, déléguée à l’intégration et cheffe du BCI du canton Vaud. Ces deux interviews portent sur la mise en place de mesures concrètes afin de lutter contre le discours de haine raciste sur Internet.
Dr. Lea Stahel, l’autrice du rapport « Discours de haine racistes en ligne : tour d’horizon, mesures actuelles et recommandations »:
Que peuvent concrètement entreprendre les institutions officielles qui entendent lutter contre le racisme sur Internet ?
En fonction de leur mandat, des services officiels, comme le SLR, ou soutenus par l’État, tels que DoSyRa, peuvent informer, sensibiliser, offrir des conseils, prendre position, effectuer un monitorage ou soutenir la recherche ou des projets privés sur les plans administratif et organisationnel. La législation (en Suisse, telle la norme pénale contre le racisme (art. 261bis du code pénal)) et la jurisprudence ont une fonction de contrôle. Néanmoins, le racisme en ligne est très dynamique et requiert par conséquent une capacité d’adaptation particulièrement élevée.
À votre avis, quelles sont les ressources importantes pour une action efficace contre le racisme sur Internet ?
Les ressources financières permettent de développer les prestations de conseil et d’intervention ainsi que de générer des preuves scientifiques pour sélectionner et mettre en œuvre des contre-mesures efficaces. Afin de faire reconnaître le racisme en ligne comme problème à traiter, il est nécessaire que les gens soient sensibilisés aux formes numériques du racisme et à ses effets. Enfin, les collaborations institutionnelles permettent de répartir les responsabilités et de tirer parti des possibilités d’action de chaque acteur.
La pandémie du coronavirus a déclenché une nouvelle vague de théories du complot à connotation raciale sur Internet. Comment évaluez-vous cette évolution pour la Suisse ?
Dans notre pays comme ailleurs, les personnes d’origine est-asiatique sont parfois tenues pour responsables de la pandémie. De même, des théories du complot à caractère antisémite ont été répandues. En cette période de crise pleine d’incertitude et d’ambivalence, ces narratifs sont attrayants. Cela vient des explications simples qu’ils apportent à des relations de cause à effet en réalité très complexes. Les personnes qui y croient pensent ainsi pouvoir reprendre le contrôle. Cependant, les informations fausses ou déformées ne contribuent pas à l’élaboration d’une solution durable au problème de la pandémie.
En outre, Amina Benkais-Benbrahim nous parle du lancement de la campagne cantonale vaudoise : « Préjugés et réseaux sociaux: Stop racisme»:
Quelles expériences avez-vous faites lors de la campagne ? Quelles sont les réactions du public?
Sur le plan quantitatif, on peut se référer aux chiffres de la campagne qui a été un succès, par exemple plus de 300 000 affichages et impressions sur Instagram. Le nombre de vues sur le site web ad hoc a explosé également : plus de 2000 sur une période de 2 semaines. Sur le plan qualitatif il est difficile de donner des éléments tangibles, les feedbacks qui nous sont parvenu via les différents canaux ont été positifs. Le renvoi sur la page a été notamment très apprécié.
Que conseillez-vous de faire aux personnes qui sont victimes ou témoins de cyber-racisme?
Comme pour les autres manifestations de racisme, c’est de garder absolument en tête qu’il s’agit d’une infraction pénale. C’est encore plus important lorsque cela se passe sur les réseaux sociaux qui donnent aux auteurs un sentiment d’impunité, car cachés derrière leurs écrans, et aux témoins l’impression, soit de banalisation du fait de cette « dématérialisation » soit d’impuissance. Il s’agit prioritairement de ne pas « cliquer » et relayer sans réfléchir, et ensuite de ne pas se taire. Pour cela il est important de s’informer sur les différents moyens d’action.
A votre avis, quel est le rôle des cantons dans la lutte contre le cyber-racisme et quelles mesures de prévention ou d’intervention peuvent-ils mettre en place ?
Les cantons ont un rôle majeur d’information et de sensibilisation du grand public mais aussi de soutien des professionnels dans leur mission, par exemple pour les métiers en contact avec les jeunes. Pour cela il est utile que tout un chacun puisse avoir accès facilement à l’information sur les moyens d’action et les lieux d’information. Le travail de sensibilisation et de visibilisation doit être constant.