«On ne peut pas tous s’offrir du bio»

La Liberté – 11.09.2018

La Liberté: Les deux initiatives agroalimentaires défendent un mode de vie «bobo bio». Ça devrait vous plaire, non?

Alain Berset: C’est un peu un raccourci. Pour moi, elles montrent surtout un intérêt accru de la population à ce que l’on mange et comment cela est produit. C’est un très bon signal, qui correspond à ce que le Conseil fédéral soutient depuis longtemps. Ce qui peut être amélioré en matière de protection de l’environnement et des animaux l’a déjà été. C’est pourquoi les deux initiatives nous paraissent inutiles.

Quels produits trouve-t-on dans l’assiette de la famille Berset, à Belfaux?

Cette année, nous avons une production de tomates dans l’ancien bac à sable des enfants. Et c’est un grand succès!

Faites-vous attention aux conditions de production des aliments?

Oui, bien sûr. Nous regardons par exemple quand manger des asperges et d’où elles proviennent. Le plus important, c’est la transparence à l’égard des consommateurs. Il faut donner la possibilité de faire des choix en étant informé sur ce qu’on achète. Et le parlement a déjà mené cette discussion en détail dans le cadre de la loi sur les denrées alimentaires.

Vous aviez promis alors qu’on connaîtrait la provenance de la viande des lasagnes et du lait des yaourts. On n’y est pas encore, non?

Le parlement s’est engagé là sur un certain nombre de points. Ensuite, pour être franc, la mise en place des ordonnances a été un travail assez difficile qui s’est terminé sur un compromis. Ce projet a cherché un équilibre entre la bonne information des consommateurs sans rendre la vie impossible aux importateurs. On peut aller plus loin mais nous avons fait un pas important dans la bonne direction en matière de transparence.

Ces deux initiatives sont inutiles, selon vous. Mais pourquoi faudrait-il voter non?

Pour ce qui est de la production indigène, les exigences sont remplies. Le seul point sur lequel l’initiative Pour des aliments équitables aurait un impact, c’est sur les importations. Et elle fait là des promesses qu’on ne peut pas tenir. Comment garantir que des aliments importés sont produits selon des standards helvétiques? La Suisse représente un millième de la population mondiale. Il est illusoire de penser qu’à l’autre bout du monde, on va changer les modes de production juste pour nous.

Ne serait-ce pas le rôle de la Suisse de se battre pour la mise en place de standards internationaux, sur le modèle Max Havelaar?

C’est un engagement que nous pouvons prendre. Mais aujourd’hui, ces standards n’existent pas. Et imposer les standards suisses aux aliments importés contreviendrait aux accords conclus avec nos partenaires commerciaux ainsi qu’aux accords de l’OMC. Que dirait-on d’ailleurs si un pays renonçait à importer nos fromages parce que la production de lait en Suisse ne correspond pas à ses propres standards?

Les initiants demandent eux-mêmes une application en conformité avec les accords internationaux. Où est le danger?

Alors cela veut dire qu’on ne va pas les appliquer. Et comme les exigences de l’initiative Pour des aliments équitables sont déjà remplies pour ce qui est de la production indigène, ça voudrait dire qu’elle n’aurait aucun effet. C’est plutôt un argument pour le rejet de l’initiative.

On pourrait en tenir compte dans les nouveaux accords de libre-échange, comme celui avec la Malaisie sur la question de l’huile de palme…

C’est une discussion qu’on a systématiquement dans les négociations sur de tels accords. Nous cherchons à importer des aliments qui correspondent à la qualité qu’on peut attendre en Suisse. Mais ce n’est pas la même chose que d’exiger le respect des modes de production suisses.

Vous craignez aussi un renchérissement des aliments?

Nous n’articulons pas d’évaluation précise, mais il est clair que si nous relevons les exigences, cela ne peut que conduire à une augmentation des prix. Et pour l’instant, hélas, tout le monde ne peut pas forcément s’offrir du bio.

Doit-on pour autant continuer à importer hors saison des tomates produites dans des conditions qui frisent l’esclavage?

Avec la transparence, les consommateurs ont le choix d’acheter ou non de tels produits. La Suisse doit aussi s’engager pour corriger les dérives. Mais ce n’est pas avec des initiatives qui nous obligent à envoyer des contrôleurs dans le monde entier pour vérifier les modes de production que nous allons beaucoup faire avancer la cause.

Vous avez évoqué le nouvel article constitutionnel sur la sécurité alimentaire. N’est-il pas acratopège, sans effet?

Il est issu d’un travail au parlement pour proposer un contre-projet à une initiative des paysans, retirée dans l’intervalle. Nous avons également tenu compte des deux initiatives sur lesquelles nous allons voter. Et le nouvel article, accepté à près de 80% en votation populaire il y a un an, nous permettra encore d’améliorer les choses au niveau de la loi.

Cela n’a pas empêché le Conseil fédéral de publier peu après une vue d’ensemble qui, selon les paysans, sacrifie l’agriculture sur l’autel du libre-échange…

Ce rapport est une contribution parmi d’autres sur l’avenir de l’agriculture. Le vrai débat aura lieu dans le cadre de la politique agricole 22+.

Il y a tout de même une forte tension entre les intérêts de l’économie d’exportation et ceux de l’agriculture, non?

Oui, il y a toujours des équilibres à trouver entre des accords commerciaux et la défense de notre propre agriculture. Celle-ci doit évoluer, mais il faut que le rythme lui permette de le faire dans des conditions acceptables.

Dans la foulée de Donald Trump, les temps ne sont-ils pas à un retour au protectionnisme?

Je peux concevoir qu’on voie dans ces initiatives des accents protectionnistes. Mais il ne faut pas oublier que l’économie suisse vit au moins à un tiers de ses exportations. Nous avons donc un intérêt majeur à garder des marchés ouverts, tout en maintenant une politique agricole forte, car notre agriculture est particulièrement menacée en raison des conditions de production en Suisse.

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